La nouvelle incrimination du harcèlement obsessionnel en Suisse : un tournant historique pour la sécurité des victimes

L’image montre un morceau de papier bleu déchiré, laissant apparaître un fond blanc où est inscrit le mot OBSESSION en lettres capitales noires L’image montre un morceau de papier bleu déchiré, laissant apparaître un fond blanc où est inscrit le mot OBSESSION en lettres capitales noires

Le harcèlement obsessionnel (Stalking) consiste à menacer, persécuter et harceler une personne avec insistance. Ce phénomène de violence insidieuse repose sur la répétition d’actes d’intrusion, harcèlement, menaces qui, en raison de leur combinaison, de leur fréquence et de leur durée, s’immiscent gravement dans la vie des victimes.

Cette persécution systématique porte atteinte à l’intégrité psychique, physique et sociale des personnes concernées, provoquant une profonde peur, anxiété ou détresse. Le stalking est une forme de violence en soi, qui peut également conduire à d’autres formes de violence, y compris le meurtre.

Une évolution législative majeure est enfin effective en Suisse : le Parlement a décidé le 20 juin 2025 de créer un nouvel article du Code pénal pour punir le harcèlement obsessionnel. Le Conseil fédéral a fixé l’Entrée en vigueur au 1er janvier 2026 de cette modification du code pénal.

Cette nouvelle infraction spécifique de harcèlement obsessionnel (Art. 181b CP), poursuivie sur plainte, vise à améliorer concrètement la protection des victimes. L’auteur pourra être puni d’une peine privative de liberté jusqu’à trois ans ou d’une peine pécuniaire. Cette réforme renforce la mise en œuvre des obligations de la Suisse au titre de la Convention d’Istanbul.

Phénomène, conséquences et données Suisses

Le stalking est décrit dans la littérature spécialisée comme un « faisceau » ou un « ensemble de comportements ». Ces actes sont commis de manière répétitive sur une longue durée et sont perçus par la victime comme non désirés et dépassant les limites.

Conséquences pour les victimes

Les conséquences psychiques peuvent se manifester sous la forme de symptômes de stress post-traumatique, de dépression, d’états d’anxiété généralisés, de troubles somatiques, de troubles du sommeil ou alimentaires.

Sur le plan social, les victimes peuvent changer de domicile et de lieu de travail. Dans approximativement un tiers des cas, le comportement harcelant comprend des menaces de violence ou des voies de fait.

Prévalence et auteurs en Suisse

Longtemps, il a manqué des enquêtes représentatives sur l’ampleur du stalking en Suisse. Le Crime Survey 2022 fournit désormais des données précieuses sur le stalking dans le contexte domestique, mais il n’existe toujours pas d’enquête représentative couvrant l’ensemble des contextes (travail, voisinage, inconnus, etc.) [601, CH].

  • Prévalence domestique : La prévalence du stalking sur cinq ans dans le contexte domestique s’établit à 1.9 % de la population totale.
  • Victimes et auteurs : Le phénomène touche plus les femmes que les hommes. Les femmes sont nettement plus nombreuses (2.6 %) que les hommes (1.2 %) à être victimes de stalking en contexte domestique. L’auteur est un homme dans 73.5 % des cas de stalking domestique. Les partenaires actuels ou passés sont le plus souvent cités.
  • Récidive : La probabilité que les auteur∙e∙s récidivent est élevée, la proportion de récidivistes pouvant aller jusqu’à 50 %.
  • Signalement : Seulement 17.5 % des cas de stalking dans le contexte domestique sont signalés à la police.

Le cadre juridique antérieur et l’art. 181b CP

Le déficit de l’ancien droit pénal

Avant 2026, le Code pénal suisse (CP) ne recensait aucune infraction spécifique de harcèlement obsessionnel. Le législateur a refusé de l’ajouter au motif que les éléments qui le constituent sont « le plus souvent déjà sanctionnés individuellement » par d’autres articles. Les infractions mobilisées incluent la contrainte (Art. 181 CP), les menaces (Art. 180 CP), et l’utilisation abusive d’une installation de télécommunication (Art. 179septies CP).

La jurisprudence (ATF 141 IV 437)

Le tribunal fédéral (TF) a tenté d’englober le phénomène en interprétant la contrainte (Art. 181 CP). L’arrêt du TF du 2 décembre 2015 (ATF 141 IV 437) a permis de reconnaître la contrainte pénale dans des cas de stalking.

  • Prise en compte du contexte : Pour déterminer si un comportement atteint l’intensité requise pour constituer une contrainte (Art. 181 CP), le Tribunal fédéral tient néanmoins compte des comportements précédents, et cela qu’ils aient eu lieu dans le monde réel ou en ligne. L’acte doit être propre à impressionner une personne de sensibilité moyenne et à l’entraver d’une manière substantielle dans sa liberté de décision ou d’action.
  • Éléments constitutifs : Même un commentaire sur Facebook peut revêtir l’intensité nécessaire à la réalisation de l’infraction de l’art. 181 CP. La jurisprudence maintient l’importance du lien de causalité entre le comportement de l’auteur et le résultat sur la capacité de se déterminer librement de la personne visée.
  • Le Stalking « Léger » : Dans certaines conditions, des actes non justiciables sur le plan pénal, considérés dans leur totalité, peuvent remplir les conditions de l’infraction de contrainte. Cependant, la définition la plus étroite du harcèlement léger non pertinent sur le plan pénal ne prend en compte que le comportement caractérisé par des actes qui, même cumulés, n’atteignent pas le seuil de la punissabilité.

La nouvelle incrimination (Art. 181b CP)

Le nouvel Art. 181b CP, entré en vigueur en 2026, permet de porter plainte spécifiquement pour le harcèlement obsessionnel. Il sanctionne le fait de traquer, de harceler ou de menacer obstinément une personne au point de porter atteinte à son sentiment de sécurité.

Cyberstalking : tactiques et mesures civiles

Cyberstalking

Le Cyberstalking est défini comme l’utilisation de moyens de communication et de technologies électroniques (courriels, médias sociaux, « apps », systèmes GPS, etc.) pour harceler sa victime. Le cyberstalking présente les mêmes éléments constitutifs que le « stalking hors ligne ».

  • Auteur unique : Contrairement au cybermobbing (qui peut impliquer plusieurs personnes), le stalking, y compris le cyberstalking, est toujours le fait d’une seule personne.
  • Poursuite pénale : Le cyberharcèlement n’est pas à proprement parlé punissable par la loi en Suisse, mais il se comprend comme un mélange d’infractions du Code pénal suisse (CPS). Les actes relèvent, par exemple, de l’Utilisation abusive d’une installation de télécommunication (art. 179septies CP).
  • Actes : Les actes de cyberstalking incluent les prises de contact très nombreuses et non désirées via courriel ou chat, la publication de photos et de données personnelles (réelles ou modifiées) pour manipuler des tiers, et l’utilisation de l’identité en ligne de la victime pour envoyer des messages compromettants.
Tactiques de cyberstalkingExemples concrets (actes de harcèlement)
Comportements harcelants par communication non désirée (SMS, courriel, chat, téléphone).Prises de contact très nombreuses et non désirées avec la victime via courriel, chat, fonction message privé des réseaux sociaux, etc.. Contacté∙e par téléphone de manière non souhaitée. Interruption des communications par courriel en inondant la boîte aux lettres.
Harceler, dénigrer ou diffamer la personne. Diffusion de fausses informations, de fausses rumeurs ou de photos.Répandre des rumeurs sur la victime en ligne ou dire du mal d’elle. Publication de photos et de données personnelles (réelles ou modifiées) afin de manipuler des tiers. Quelqu’un s’est moqué, a insulté∙e, injurié∙e ou menacé∙e en ligne.
Utilisation de l’identité en ligne de la victime. Intrusion et espionnage.Utilisation de l’identité en ligne de la victime afin d’envoyer des messages compromettants à d’autres personnes. Achats et ventes effectués au nom de la victime. Création d’un site Internet au nom de la victime. Suivi∙e sur Internet / les médias sociaux.
Introduction de virus et logiciels malveillants.Introduction de virus et logiciels malveillants dans l’ordinateur de la victime, espionnage de données sur la victime.

Le cadre de protection civil (Art. 28b CC)

Le droit civil offre des possibilités d’agir rapidement. L’article 28b du Code civil suisse (CC), en vigueur depuis juillet 2007, permet aux victimes de demander à la justice de prononcer des mesures de protection en cas de violence, menaces ou harcèlement.

Pour le droit civil, il y a harcèlement lorsque les incidents se répètent, qu’ils ont une certaine intensité et qu’ils provoquent chez la victime des réactions de peur, de détresse ou d’impuissance.

Ces mesures, dont la liste n’est pas exhaustive, peuvent inclure :

  • L’Interdiction de s’approcher de la victime ou d’accéder à un périmètre défini.
  • L’Interdiction de fréquenter certains lieux.
  • L’Interdiction de prendre contact avec la victime, par téléphone, par écrit, ou par voie électronique.
  • L’Expulsion du domicile.

De plus, la loi fédérale sur l’amélioration de la protection des victimes de violence de 2018 crée les bases de la surveillance électronique du respect de ces interdictions (art. 28c CC), mesure entrée en vigueur le 1er janvier 2022.

Le juge peut lier l’ordonnance de protection à la menace de sanction pénale prévue à l’art. 292 CP (insoumission à une décision de l’autorité).

Piliers de la Lutte : compétences, outils et auteurs

Une lutte efficace contre le stalking requiert une démarche coordonnée et une collaboration interdisciplinaire.

Responsabilisation des auteurs et offres thérapeutiques

L’intervention auprès des auteur∙e∙s est essentielle pour la protection des victimes sur la durée et pour la prévention de la récidive.

  • Profil des auteurs : Une majeure partie des cas de stalking ne requiert pas de poser un diagnostic psychiatrique sévère en ce qui concerne les auteur·e·s. La proportion d’auteur∙e∙s dont le diagnostic principal est d’ordre psychiatrique (troubles délirants, psychoses schizophréniques ou manies) est faible, estimée à 10 % tout au plus.
  • Déficit d’offre spécialisée : Les offres de consultation et de thérapie spécifiques au stalking en Suisse sont encore peu développées. Le travail avec les auteur∙e∙s dans le cadre de la violence domestique ne garantit pas la présence de stratégies ou de lignes directrices pour gérer le stalking.
  • Consultation proactive : Il manque une offre répondant aux besoins spécifiques du grand groupe d’auteur∙e∙s de stalking qui ne présentent pas de troubles psychiatriques sévères (environ 90 % des cas selon certaines estimations) [260, 420, CH].

Prise de contact proactive par la police

La prise de contact proactive par la police est un instrument de police préventive crucial pour clarifier la norme d’intolérance et inciter l’auteur à changer de comportement. Elle est appliquée par des cantons comme Soleure (SO) et Zurich (ZH).

  • Efficacité : Les expériences zurichoises montrent que, lorsqu’elle intervient précocement, la prise de contact proactive permet de faire cesser le harcèlement dans une grande majorité des cas, certains experts évoquant des taux de succès pouvant atteindre 90 % dans les situations traitées très tôt [CH].
  • Objectif : La prise de contact sert à clarifier une norme (que le stalking peut être punissable et qu’il a des conséquences).
  • Moyens : D’après les expériences du service de consultation de la ville de Berne, un avertissement écrit, transmis par un∙e avocat∙e se révèle très souvent le moyen le plus efficace.

Outils d’évaluation du risque et formation

Pour les situations plus complexes et menaçantes, une gestion individualisée et interdisciplinaire des cas de stalking est jugée impérative.

  • Outils d’évaluation : Plusieurs instruments d’évaluation du risque spécifiques au stalking sont utilisés par les professionnels (police, psychiatrie médico-légale):

    ◦ SAM (Guidelines for Stalking Assessment and Management) : Lignes directrices utilisées pour la collecte systématique des informations sur les facteurs de risque liés aux tactiques, aux auteur∙e∙s et aux victimes.

    ◦ SRP (Stalking Risk Profile) : Instrument d’expertise examinant les auteurs sous l’angle de la psychiatrie médico-légale. Le profil SRP est étroitement lié à la typologie de Mullen et al. (rejeté, vengeur, en quête d’amour, etc.).

    ◦ L’ODARA (Ontario Domestic Assault Risk Assessment) est également répandu dans les cas de stalking en contexte de violence domestique.

  • Formation : Le harcèlement obsessionnel est intégré dans la formation policière initiale et dans la formation spécialisée « Aide et conseils aux victimes d’infraction » (LAVI). Cependant, différent∙e∙s expert∙e∙s ont signalé le manque d’offres de formation continue spécifiques à l’intention des autorités de poursuite pénale, des services d’aide aux victimes, des autorités de protection de l’enfant et de l’adulte (APEA), et des tribunaux.

Aide aux victimes (LAVI)

Les services LAVI (loi fédérale sur l’aide aux victimes d’infractions) offrent une consultation et un soutien à bas seuil aux victimes de stalking.

  • Règles de comportement : La rupture de contact est considérée comme l’une des mesures les plus efficaces à moyen et long terme pour mettre fin au stalking. La victime doit signifier son refus une seule fois, mais sans ambiguïté, et ignorer toute tentative de prise de contact de manière conséquente. Les tentatives de se défendre contre l’auteur∙e du harcèlement produisent généralement l’effet contraire.
  • Documentation : La victime doit documenter et archiver systématiquement tous les actes de stalking (courriels, lettres, etc., en notant la date et le contenu) pour étayer une éventuelle procédure pénale et permettre l’analyse des menaces.

Conclusion

L’incrimination du harcèlement obsessionnel marque une étape décisive pour la Suisse, qui reconnaît enfin la spécificité d’une violence longtemps sous-estimée. En dotant les autorités d’outils pénaux clairs et en renforçant les dispositifs civils, cette réforme ouvre la voie à une protection plus cohérente et plus réactive des victimes.

À lire également : En Suisse romande, l’urgence face au fléau des violences de genre reste plus que jamais d’actualité, notamment à l’occasion du 25 novembre 2025, journée dédiée à la lutte contre les violences faites aux femmes.

Sources :
  • https://www.ebg.admin.ch/dam/fr/sd-web/EmG796VCdgJV/Violence%20domestique%20en%20Suisse.%20Crime%20Survey.pdf
  • https://www.hdclegal.ch/wp-content/uploads/2017/05/METILLE_contrainte-penale-stalking_Medialex-2016.pdf
  • https://www.vd.ch/fileadmin/user_upload/themes/vie_privee/ViolenceDomestique/pdf/1_Fiche_28CC_CCLVD.pdf
  • https://www.news.admin.ch/fr/newnsb/IpVIyYMnyz70
  • https://www.ge.ch/cyberharcelement
  • https://www.victimepasseule.ch/post/aide-aux-victimes
  • https://www.ebg.admin.ch/dam/fr/sd-web/BCCSGFKe69uI/Studie_Stalking_EBG_2017_fr.pdf
  • https://stop-au-harcelement.ch/guide-pratique/porter-plainte/
  • https://www.ebg.admin.ch/dam/fr/sd-web/z7nSkwonWKiy/B2%20Stalking_BFEG_2020.pdf
  • https://divorce.ch/nos-dossiers/aspects-penaux/stalking/
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Maeva Lasmar

Journaliste

Maeva Lasmar est une journaliste engagée qui s’intéresse aux réalités vécues par les femmes d’aujourd’hui en Suisse romande : charge mentale, bien-être, équilibre professionnel et reconnaissance émotionnelle.